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Catégorie parente: Cercle des poètes inconnus
Catégorie : Prose
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J’ai traversé la nuit profonde et vaincu le froid mordant des ténèbres. Au bois d’ébène, j’ai demandé à Dieu le chemin de la source vive et j’en ai fait mon lit. A l’oiseau moqueur, j’ai ri soudain. Et j’ai reçu comme une distinction les signes des Cieux. J’ai éprouvé le vertige de l’amour et du désir mais je ne me suis pas fracassé la tête contre l’asphalte. A l’extrême lointain, j’ai vu la blanche étoile m’indiquer la route comme à un navigateur solitaire perdu dans le vent d’hiver sur une mer démontée et le soleil d’or briller à la fenêtre d’en face comme un appel. L’éclair du Sacré m’a répondu comme un écho lointain et la coquille de l’Espace s’est brisée en vertes étincelles bleutées, en rouges flammèches et mille éclats du Divin brillants comme le diamant, pierres grises, débris de coquillages, morceaux de cristal de roche. Le Temps a bourgeonné et fleuri sur ma dépouille de femme claquemurée, emprisonnée, enfermée. Sur la folie de ma claustration volontaire et stérile où j’ai bu avidement le champagne grisant de la solitude, le vin enivrant de l’esseulement jusqu’à épuisement de mes forces. Des forces neuves ont germé et se sont soulevées comme des vagues géantes dans la tempête, comme des montagnes d’eau qui heurtent les falaises. Des forces restées longtemps enfouies, éteintes, anéanties par le malheur et le labeur. Je me suis portée aux confins de l’univers, à l’autre bout du monde dans l’envers du décor, dans la beauté rutilante de la bière ocre rousse sur le zinc où l’on boit le petit noir à l’aube grise, dans l’éclat radieux du rouget sur la table du restaurant avec ses teintes infinies de rouges, écarlate, vermeil, grenat, de roses, pétales de fleurs ou cerises, et d’orangers, dans la clarté translucide de la carafe d’eau fraîche qui verse un reflet verdâtre sur la nappe d’une blancheur immaculée, dans l’écume brillante de l’eau de vaisselle, dans la mousse lumineuse du bain, dans la couleur sang de la bouteille de vin et du verre à moitié plein, dans la crème fouettée comme une avalanche de neige blanche, dans la lumière invisible de l’Être et de son paraître.

Illumination soudaine devant des choses qui me paraissaient bien familières, bien connues et sans aucun mystère. Pure apparition d’un au-delà immanent, d’une transcendance consubstantielle aux objets du quotidien dans leur éclat insigne et souverain. Patience de l’infirme dans le déblaiement de la cuisine et le rinçage de l’évier boueux. Eveil du regard contemplatif devant le grésillement de la daurade aux éclairs d’argent contrastés par le jaune vif du citron amer, devant le cœur tendre et voluptueux de la laitue et de ses feuilles vertes plongées dans l’or de l’olive, devant la pâleur crème des ravioles flottant dans l’eau frémissante et irradiés par l’ampoule électrique.

Les choses me deviennent étrangères, s’éloignent de moi comme si elles n’étaient plus purement utilitaires et revêtent l’apparence du tout autre, dans une transmutation inouïe, dans une métamorphose étrange et pleine de surprise. Etonnement devant leur insurrection, leur soulèvement ! Eclosion de la parole dans la radicale aperture de l’être en clairière ! Emergence de la phrase qui dans ses cercles, ses boucles et ses méandres, enserre l’essence, la quiddité, l’étantité. Transsubstantiation de la matière en présence réelle, en corps transfiguré !

Claire d'Orée