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En somme, les choses ne sont pas pour moi des objets purement fonctionnels, des outils destinés à des fins concrètes et pratiques ou des denrées prêtes à consommer, elles se manifestent dans un horizon entièrement neuf, comme si je ne les avais jamais vues, dans une lumière qui les illumine de sa clarté radieuse, comme si elles étaient, elles qui paraissent à tout un chacun bien connues, étrangères et par conséquent étranges. Elles recèlent un infini mystère, celui de l’Etre qui se déclôt par instants pour laisser entr’apercevoir la merveilleuse beauté du dehors, dans sa richesse et sa plénitude. Un peu comme un point d’orgue, comme un crescendo qui peu à peu, dans sa lente montée, finit par laisser entendre un son très aigu et qui est comme l’apothéose du morceau de musique, l’apogée ultime, l’acmé dernière.


IV Georges de La Tour, Cézanne et Malévitch


Ou comme ces taches non recouvertes par la palette du peintre et situées au point le plus rapproché de l’œil qui, dans l’œuvre de Cézanne, culminent après les variations de la couleur du spectre et qui sont comme un concentré de lumière, un foyer où irradie la blancheur du fond laissé parfois nu, le blanc n’étant jamais qu’un condensé de toutes les teintes de l’arc-en-ciel par un surprenant raccourci qui fait que la couleur la plus pâle, la plus neutre, la plus pure, la plus lumineuse est en fait composée de toutes les couleurs et qu’elle en est par conséquent comme la quintessence.

La blancheur est une sorte d’absolu indépassable de sorte que lorsque Malévitch peint son carré blanc sur fond blanc, il atteint une limite qu’il ne peut plus transgresser, un seuil, une frontière au-delà de laquelle s’étend l’infini de la neige.

La neige comme une symphonie de blancheur se manifestait à moi, lorsque je rentrais de la bibliothèque où je travaillais, certains jours où je descendais à l’arrêt Hôtel de Ville. C’était l’hiver. La patinoire rayonnait d’une blancheur immaculée. C’était comme un scintillement de diamants, comme une féerie de neige dont l’étincellement ravissait mon âme, pénétrait dans les couches souterraines de mon cœur. Des patineurs évoluaient harmonieusement sur la glace en traçant des figures et la blancheur de l’Hôtel de ville et du ciel éclairé par les lampadaires en accord avec la pureté de la glace me donnaient l’impression d’être entrée dans un autre univers, celui du givre et du marbre blanc, du schiste et du sel, des sommets enneigés des Alpes où brillent les neiges éternelles.

A côté de la patinoire, il y avait un manège datant de la Belle époque et les chevaux blancs harnachés de couleurs vives brillaient en tournant, montaient, descendaient comme les danseurs que je venais d’apercevoir. Cette illumination, ce feu d’artifice, cet éblouissement faisaient miroiter à mes yeux une blancheur lumineuse dans les ténèbres comme les ailes d’une colombe, comme une substance laiteuse ou encore comme les cristaux de la lampe au cœur de la nuit. Cette blancheur, c’était le symbole de la pureté, de l’innocence, c’était aussi la couleur du Royaume des Idées, où habitaient les âmes des morts.

Toute sa jeunesse Cézanne avait tenté de représenter cette blancheur, cette nappe « …blanche comme une couche de neige fraîchement tombée et sur laquelle s’élevaient symétriquement les couverts couronnés de petits pains blonds » mais avait finalement compris qu’il ne pouvait peindre que les objets parce que la lumière est invisible et que seules les couleurs la rendent visible, d’où cette phrase énigmatique dans la bouche d’un artiste : « La lumière n’existe donc pas pour le peintre ». La couleur blanche elle-même n’était pas la lumière, elle était seulement la surface qui réfléchissait le mieux la lumière qui, elle, ne se pouvait regarder en face sous peine d’être aveuglé, ce qui en était la plus voisine incarnation, la plus proche manifestation. Tenter de représenter la lumière, analogon du Dieu et du Verbe, était une entreprise vouée à l’échec comme parler du silence.

Ce que Cézanne concevait comme une entité nouménale, une idée vivante, comme un être de raison pure, la couleur n’existait pas en soi, elle se situait plutôt à la jonction entre le subjectif et l’objectif, elle était, « le lieu où notre cerveau et l’univers se rencontrent ». La chose en soi, le noumène, donc ce qui demeurait à jamais inaccessible à nos sens et à notre entendement, c’était bien plutôt la lumière elle-même, l’étincelle qui incendiait la mer rougeoyante comme du métal en fusion ou la flamme qui faisait briller les larmes de Saint Pierre dans le tableau de Georges de la Tour.

Du point de vue physique, la lumière avait une nature double, à la fois onde et corpuscule mais la connaissance simultanée de cette double nature était interdite en vertu du principe d’incertitude de Werner Heisenberg. On pouvait dire que la lumière c’était l’Or dont Pindare disait qu’ «  il traverse de son éclat tout ce qui à l’entour vient en présence ». C’est la raison pour laquelle Cézanne affirmait ne pouvoir représenter dans la phrase de Balzac le terme « couronnés ».

Claire d'Orée


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  • Tétanisante inertie
    28.05.2020 12:18
    procrastination ?
     
  • Larme...
    28.05.2020 12:17
    je pense que je voulais dire un truc spéciale... caché... intrigant :-)
     
  • Larme...
    28.05.2020 12:15
    bah en fait je ne sais même plus ce que voulais dire !! lol :-) en tous cas attristés prend ées :-)
     
  • Haïku doré
    26.09.2012 16:01
    Bon Jour, Ciel, Si je puis me permettre, en toute amitié: 5/7/5 Vaste champ d'épis - Mot de saison ...
     
  • Lettre par Aurore Dupin
    23.09.2012 10:27
    aurore Dupin est le vrai nom de George Sand, elle a envoyé cette lettre à Alfred de Musset... je vous ...